La discipline du corps dans le capitalisme racial

Traduction au français du texte La disciplina del cuerpo en el capitalismo racial (publié dans El Salto le 22/08/2023)

S’il est une chose que la violence policière raciste (dans notre pays et dans de nombreux autres pays occidentaux) partage avec l’esclavage, le lynchage et la ségrégation raciale, c’est précisément la présomption de culpabilité fondée sur la race, le traitement inhumain et la logique de l’existence de personnes de seconde classe.

Pintura acrílica BLM, Arte Original «Jóvenes Activistas»

Samedi soir dernier, le 5 août, dans le quartier de El Raval (Barcelone), les agents de la Guardia Urbana de Barcelone opèrent avec une extrême violence contre un jeune noir-africain. Je vois dans ses yeux l’histoire sans fin de la vie de notre jeunesse : migration, violence institutionnalisée, negrophobie mais un cerveau brillant, capable de se souvenir de tout.

Je l’avoue : le nœud dans mon estomac me traverse, tout comme la rage, l’impuissance et l’envie de justice. Car oui, rien de ce qui lui est arrivé n’est nouveau : ni pour lui (un jeune homme noir africain habitué à la violence), ni pour nous. Un certain sentiment d’avoir déjà ecouté cette histoire. Presque la même. Et le fait est qu’en réalité, la répétition de son cas fait de la violence policière contre les corps noirs une pratique habituelle des États. La nature structurelle de la violence, et la manière dont elle opère en combinaison avec d’autres manifestations de racisme, me font poser une question très dangereuse : qu’avons-nous fait pour mériter cela ? Mais surtout, pourquoi ?

J’accepte la délicatesse de la question dans la mesure où elle peut sembler que j’impute une responsabilité aux sujets opprimés. Mais c’est la question qui me vient quand les coups viennent de tous les côtés et, alors, je me pose la deuxième question : quelle est la raison ?

La violence est l’arme de l’organisation politique des États. C’est un pouvoir que les citoyen.ne.s sont censé.e.s accorder à l’État pour les protéger de ce que les auteurs classiques (européens), dans leur théorie politique de l’État moderne, appelaient l’état de nature. C’est ce qu’a fait, entre autres, Hobbes, qui a supposé que le conflit était l’état naturel de ceux et celles qui vivent ensemble sur un territoire.

Machiavel avait déjà une vision pessimiste et, avec des nuances dans sa vision précédente de l’état de nature, Locke abordera également l’État comme un gestionnaire de conflits. Ainsi, la théorie classique de l’État moderne accepte l’État comme seule garantie de vivre en liberté, terme qui prend tout son sens avec l’émergence du capitalisme dans le cadre de l’État.

»La violence est l’action habituelle de l’État mais, plus important encore, elle doit être validée au nom de la sécurité, de la liberté et du droit.»

Si ces théoriciens, qui marqueront l’histoire de l’Europe et par conséquent l’histoire du monde, s’accordent également sur un point – avec beaucoup de nuances – c’est sur la reconnaissance de la nécessité d’une source de légitimation ou de consentement. Sans entrer dans les implications de la théorie du contrat social, je préciserai que Machiavel reconnaissait déjà la nécessité pour le peuple de vous considérer comme charismatique et d’accepter votre action politique. Un aspect qui aurait également trouvé une abondante littérature dans l’œuvre de Max Weber, qui parlait de l’autorité charismatique et du besoin de validation cognitive de l’action du législateur. En bref, la violence est l’action habituelle de l’État mais, plus important encore, elle nécessite une validation au nom de la sécurité, de la liberté et du droit.

Ainsi, sur la base de cet agencement des choses, à travers des processus historiques déjà largement connus comme le génocide colonial et la violence esclavagiste, les États européens imposent leur raison des choses et tentent, à travers un discours évangélisateur, de donner une civilisation aux territoires auxquels l’expansion industrielle et économique de l’Europe a été confiée. La construction de l’autre, amorcée dans ces périodes, comme sujet sans capacité de raisonnement ni culture du travail, et violent, construit par conséquent une hiérarchie raciale où les Blancs non seulement violentent ceux et celles qui ne sont pas blancs, mais ils ont aussi les motifs de le faire. En d’autres termes, ils ont l’autorité morale de le faire parce qu’en exerçant cette violence, l’État nous «protège». Mais surtout, toute personne qui sort de ce schéma de «citoyenneté correcte» sera disciplinée par l’appareil de justice pénale et l’un de ses bras armés : les forces de police.

Être un.e bon.ne citoyen.ne, est-ce seulement répondre aux mandats de «l’État de droit» ? Tout d’abord, être citoyen.ne d’un État est un statut juridique réservé à ceux et celles qui remplissent les conditions actuellement énoncées dans les lois sur les étrangers. Mais indépendamment de ce fait (important dans de nombreux cas), la violence policière opère toujours avec une discipline sévère contre ceux et celles qui, bien qu’ils soient des exemples de respectabilité, sont hiérarchisé.e.s par l’État dans ses positions les plus inférieures. C’est ainsi que fonctionnait à l’époque la construction de l’accumulation de la richesse européenne : en éliminant tous les coûts de main-d’œuvre et en disciplinant les corps noirs qui voulaient modifier les modes de vie européens qui représentaient un danger pour l’individualisme et les mœurs fragiles du continent.

Tous ces débats peuvent sembler dépassés, mais le capitalisme et le racisme institutionnel sont, en fait, plus contemporains que jamais. Pour faire une analogie avec les institutions que la consœur Angela Davis a associées à la construction du système carcéral, si la violence policière raciste (dans notre pays et dans de nombreux autres pays occidentaux) a quelque chose en commun avec l’esclavage, le lynchage et la ségrégation raciale, c’est précisément la présomption de culpabilité fondée sur la race, le traitement inhumain et la logique de l’existence de personnes de seconde classe (respectivement).

La présomption de culpabilité est le simple fait que pour recevoir violence par un policier, il n’est pas nécessaire d’enfreindre la loi. En d’autres termes, il n’est pas nécessaire d’être un criminel, bien que le fait d’être un criminel soit souvent lié à la précarité permanente de nos communautés. Les cas signalés dans les nombreux rapports des centres des droits humains et des organisations internationales qui ont suivi la situation en Espagne démontrent la violence systémique avec laquelle la police agit souvent et aussi le double critère qui reflète le manque d’homogénéité dans les actions policières.

En ce qui concerne les traitements inhumains, ceux et celles d’entre nous qui connaissent les actions policières racistes (pour les avoir vécues ou parce que nos proches en ont été victimes) savons le mépris particulier avec lequel elles sont menées et comment les gardiens de la loi sont les premiers à les bafouer. Car, lié à l’existence de personnes de seconde zone, le respect scrupuleux des règlements de police et des principes de proportionnalité, d’égalité et ceux inscrits dans la Constitution espagnole, lorsqu’il s’agit de nos corps, semble disparaître.

Alors, qu’avons-nous fait pour mériter cela ? Rien et tout. Rien d’indigne et nous sommes aussi tout ce que la politique a historiquement voulu détruire par le blanchité. Il est illusoire de dire qu’il existe un élément idéologique aussi élaboré dans l’ensemble des forces de police. Ce sont des États comme l’État espagnol qui agissent délibérément avec une telle violence, consciemment, avec une justification discursive et en suivant une ligne historique.  Ils le font en fermant les yeux sur le racisme policier, en n’offrant pas les garanties nécessaires au contrôle de leurs actions, et même en n’hésitant pas à former des alliances criminelles avec d’autres forces de police pour continuer à exercer la violence contre les corps noirs (nos frontières dans le sud en sont le témoin). Peut-être que les États occidentaux, lors de leur fondation, ne comptaient pas sur notre survie ou notre lutte politique, mais nous continuons à être ceux qui veulent réparer l’injustice et l’inégalité. Il semble que, par le simple fait d’exister, nous ébranlions leurs États d’égalité et de droits. 

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